Alors les combats de coqs.
Quand on en parle comme ça, avant de partir, avec la famille et les amis, ça semble exotique, on pense à la poussière, aux gens qui fument, qui boivent et qui parient, qui transpirent…
Ça donne envie, en bref.
Et puis Russel, un type du coin vraiment en or, te propose de te montrer pour de vrai ce à quoi un combat de coq dans une petite bourgade comme Siquijor peut ressembler.
Alors tu saisis l’occasion avec joie, sans y penser plus que ça. Même si ce sont des combats de coqs et que tu restes assistante vétérinaire, tu te dis que ça fait partie de la couleur locale et qu’il faut bien s’ouvrir à d’autres choses sans pour autant se braquer parce qu’ils font peut être souffrir des animaux pour leur bon plaisir.
Et puis ça reste des coqs, ça va, nous ne parlons pas de chatons.
Eh bien heureusement que ce n’étaient que des coqs…
Il faut tout d’abord savoir que les coqs de combat sont vraiment très beaux. Ils ont un très beau plumage chatoyant, leur plastron peut aller du feu au brun foncé, leurs plumes sont bien brillantes, non vraiment, les coqs Français ne peuvent pas faire cocorico face aux coqs Philippins.
Et puis il y en a absolument partout aux Philippines, où que tu ailles, dans les villes, dans les campagnes, qui traversent la route presque sous tes roues quand tu passes en scooter, qui poirotent en rang dans les jardins, la patte attachée par une cordelette à une petite maison un peu comme dans une plantation de sapin, qui picorent dans les poubelles, qui font des concours de chant à 5h30 le matin pour savoir qui domine le territoire…
Donc tu prends l’habitude de vivre avec les coqs. Pas des masses de poules proportionnellement. Surtout des coqs de combat.
Russel nous a donc expliqué un peu à quel point cette culture volaillère est répandue aux Philippines : Il y a des genres de championnats internationaux de combat de coqs dans les grandes villes.
A Manille, tu peux même assister à des combats de coqs dans un stadium, et évidemment, le combat est retransmis sur des écrans pour les plus éloignés, mais également pour les gens qui sirotent une bière dans les bars aux alentours, et parfois même pour la télé.
Les paris vont de 2 à environ 60.000 euro pour les combats les plus prestigieux. Ils n’utilisent pas de bookmaker : Tu viens assister à un combat, tu vois un coq qui te plait, en plus ils t’annoncent sa cote avant le début du combat (comme au PMU, ce coq est coté 5 contre 1 par exemple), et puis tu te retournes vers ton voisin de droite, de gauche, à l’autre bout de l’arène, tu lui fais des signes préétablis, et ton pote te dit ok ou non s’il veut bien parier avec toi.
A la fin du combat, tout le monde se lance des billets chiffonnés en boulettes aux quatre coins de l’arène, et tout le monde se fait confiance pour honorer son pari.
Comme c’est beau !
Maintenant, le combat en lui-même : Tu pars pour l’arène avec ton coq sous le bras à pied, en scooter, ou alors tu te fais amener par un tricycle avec ton coq, tu entres dans l’enceinte de l’arène, et tu te mêles au groupe des mecs qui se demandent contre qui ils vont faire combattre leur coq.
Une fois que tu t’es mis d’accord avec quelqu’un, tu entres dans une petite pièce dans laquelle ils vont installer à sa patte une lame, pour remplacer l’ergot qui fait quand même moins de dégâts.
Comme ça, ça va plus vite.
Et ils ne déconnent pas avec la lame. C’est pas le truc qui a déjà servi cent fois au Mac Guyver du coin. C’est une lame bien pointue, bien aiguisée, toute neuve, qui doit faire entre 10 et 15 cm de long. Ils l’attachent bien à la patte, la double-checkent, le font faire quelque pas avec pour être sûr qu’il ne va pas s’embrocher tout seul ou se couper l’autre patte en marchant, et puis ils y mettent un cache pour pas que toi tu te blesses en tenant ton coq, et il n’y a plus qu’à attendre qu’on t’appelle pour foutre ton coq dans l’arène.
Justement, admettons, on t’appelle.
Tu rentres avec ton coq dans les mains d’un côté de l’arène, ton concurrent et son coq de la mort rentrent d’un autre côté.
Là, le public se met à hurler les paris. Mais vraiment. Impossible de s’entendre.
J’imagine que ça doit déjà stresser les bestioles un tantinet. Mais pour être sûrs qu’ils vont bien se foutre sur la gueule, ils ont trouvé mieux : Ils font venir un troisième larron, un coq qui n’est pas armé et qu’un troisième type tient dans ses mains, toi tu as toujours ton coq dans les mains également, et l’élément perturbateur va venir picorer le plumage de ton coq qui reste impuissant, vu qu’il est fermement maintenu par tes paluches.
Du coup, ton coq va avoir tendance à s’énerver un peu, vu que déjà tout le monde gueule, et il ne peut pas se défendre face à ce malotru qui lui met des coups de becs gratuitement.
Ensuite, tu vas vérifier si ton coq est bien véner et si les différentes doses de stress qu’il a reçu (en plus des doses chimiques vu qu’ils les foutent sous stéroïdes et phéromone stressantes dès le plus jeune âge) ont l’effet escompté : Tu vas poser ton coq à terre, face à son concurrent, en le retenant par la queue.
Là, normalement, ils sont déjà bien motivés à se mettre une race.
Ca s’ébroue le plastron de belle façon. Enfin, tu reprends ton coq dans tes mains et tu retires le cache de la lame.
Là, un juge vient essuyer la lame d’un chiffon humide, au cas où tu aurais eu envie de mettre quelque poison dessus pour accélérer la victoire, et tu poses finalement ton coq à terre, en te carapatant quand même un peu vite vu qu’il est bien armé et que ça reste un coq, donc c’est super con.
Ensuite, la suite n’est plus de ton ressort.
Tu dois t’en remettre entièrement à ton coq.
Donc parfois, vu qu’ils ont un cerveau de coq et qu’ils oublient ce qui s’est passé cinq secondes avant, ils se mettent tranquillement à picorer le sol chacun de leur côté sans se chercher de noises.
Ça peut durer quelques secondes. Mais faut quand même pas pousser, on est là pour voir un combat donc si ça dure trop longtemps, tu reprends ton coq dans les mains et tu lui tires une ou deux plumes pour lui rappeler que c’est de la faute de l’autre en face s’il en est là.
Et en général, ça marche : L’un attaque, l’autre se défend, ils sont tous les deux les pattes en première ligne, donc la lame en première ligne, l’un monte sur l’autre, enfonce sa lame dans la chair de son concurrent, et au bout de quelques secondes, trente maximum, il y en a un qui s’est pris un mauvais coup.
Parfois, ça va plus vite. Parfois, il suffit que la lame trouve la gorge ou le cœur de l’autre pour qu’en 5 secondes, le combat soit terminé.
Et puis des fois, c’est l’agonie. Les deux sont méchamment abimés, donc ils restent sur le sol, l’un contre l’autre, ton coq donne quand même des coups de bec à l’autre pour lui montrer qui est le patron, mais il perd beaucoup de sang.
Et ça continue de gueuler dans l’arène, les gens encouragent, s’exclament, parfois ont mal pour le coq, je crois (j’espère !). Quand ils ne bougent plus trop, l’arbitre les attrape tous les deux par les plumes du dos, les rapprochent, pour voir si tous les deux continuent à donner des coups de becs. Puis il les repose à terre. Si l’un ne bouge plus trop, il recommence trois fois ce protocole.
Si rien ne se passe, celui qui bouge le plus est déclaré vainqueur.
Voilà. Super, un coq a gagné.
Pour le dernier combat auquel nous avons assisté, il s’est passé un truc assez palpitant : Les deux coqs étaient vraiment très excités et très vigoureux.
L’un des deux a enfoncé sa lame dans le thorax de l’autre, qui s’est mis à saigner sérieusement, mais est resté debout. Le coq blessé ne s’est pas laissé démonter : Il s’est jeté sur son adversaire et lui a tranché la gorge. Puis il est tombé raide mort, comme son concurrent. Ex-aequo.
Mais reprenons notre narration où nous l’avons laissée : Disons que tu es l’heureux propriétaire d’un coq mort, là, par terre, dans le sable de l’arène.
Il s’est bien battu, mais il a succombé à ses blessures. Tu reprends la dépouille de ton coq sous le bras, tu retournes dans la pièce où tu avais fixé la lame à la patte de ton coq, tu es quand même un poil dégoutté d’avoir perdu une jolie bête et de ne pas avoir gagné d’argent, mais bon, tu es Philippin donc tu te dis avec optimisme que la vie continue, tout en découpant la patte de ton coq sur laquelle tu avais attaché la lame.
Tu en gagneras, des combats, avec d’autres coqs plus forts que celui-là. Tu récupères la lame, ton coq, et tu laisses la patte traîner par terre.
C’est de la culture locale, c’est un sport national, j’essaie de respecter. Mais vraiment, je ne comprends pas.