Avant de partir, je disais que les galères du voyage importeraient peu puisque ce serait le voyage.
Et finalement, une fois qu’on est plongé dedans, on n’a plus rien à regretter de rien.
Donc je ne regrette pas d’avoir négocié deux mobs à Labuan, de les avoir emmené voir le Brunei, puis d’être repartie dans l’autre sens pour rejoindre la frontière, avoir payé 150€ pour les faire passer en Indonésie et finalement devoir les laisser là où elles sont.
Nous ne traverserons pas l’Indonésie pour rejoindre la Malaisie péninsulaire. C’est finalement ce qui me révolte le plus à l’intérieur de moi. Nous allons devoir revenir à Tarakan pour aller chercher Perceval et Karadoc. Et repayer le même prix pour les renvoyer là où ils sont venus.
Et après, retour à la case départ. Oh, la jolie galère.
Mais heureusement que l’Indonésie n’est pas à l’image des douaniers de Tarakan.
Agus et Heyri nous l’ont très vite démontré (cf l’article d’Aurel à ce sujet). Mais quand même, au secours, fuyons cette île maudite et pas super jolie en plus, et embarquons nous pour une traversée de la mer de Célèbes.
A l’origine, on nous avait parlé de deux nuits et un jour. Pelni (la compagnie publique de bateaux en Indonésie) n’en fera rien et nous fera vivre deux jours et trois nuits de pure croisière.
Vous vous souvenez de La croisière s’amuse avec la jolie hôtesse d’accueil qui salue personnellement chaque passager à son arrivée sur le bateau et le barman noir avec la coupe afro qui vous fait des cocktails dans la salle de réception où un lustre de cristal trône au-dessus de la table du capitaine ?
Pelni, c’est pas tout à fait ça. Mais ça ne veut pas dire que c’est moins bien. Une autre culture, si vous voulez.
Ok, trêve d’introduction.
Nous arrivons à Pare-Pare, Sulawesi sur les rotules après trois jours à dormir par terre sur de moelleux matelas en sky posés sur une épaisse moquette en laine.
Il est 7 heures am, le lever du soleil sur le Sulawesi a été un vrai moment de sublime, nous posons enfin un pied à terre. Aurel ne ressent rien, mais moi je tangue de l’oreille interne.
Nous faisons quelques pas, des indonésiens nous posent les questions d’usage, salut monsieur (à moi aussi ils disent monsieur, ils ne doivent pas savoir exactement ce qu’ils disent…) d’où venez-vous, où allez-vous, besoin d’un transport… puis nous trouvons un café ouvert qui ne ressemble pas à une cabane en bois dans laquelle l’air ne circule pas.
Et d’accord, il est 7 heures du mat, mais l’air, dans ce genre de pays, ça a toujours son importance quelle que soit l’heure, à plus forte raison avec un sac à dos sur les épaules.
Alors ça y est, nous sommes assis à une grande table où déjà un thé glacé et une assiette de nouilles sautées sont posés, attendant d’être ingurgité. La classe internationale quand on sait que nos repas des trois derniers jours ont ressemblé à ceux des participants de Koh Lanta quand ils ne gagnent pas la mission de confort.
C’est le moment de profiter de l’instant présent, d’autant plus qu’une brise vient chatouiller les gouttelettes de mon aisselle, ah oui c’est vrai, c’est à ça que ça sert, la transpiration. Et également le moment de faire le point : Qu’est-ce qu’on fout, maintenant qu’on est là ?
L’avantage, c’est qu’il est tôt.
Pourquoi ne pas en profiter pour prendre un bus illico presto et aller là où c’est bien ? Oui, d’accord. Mais où est-ce, bien ? Le Lonely Planet ne nous aide pas (le Lonely Planet nous aide rarement en fait), nos paupières sont lourdes, il y a un acces wi-fi dans le restau, nous cherchons où c’est bien au Sulawesi, nous nous énervons…
Bon, ça suffit. On est crevé, prenons un hôtel ici, remettons nous de notre transat, nous partirons demain, ça nous laissera quelques heures pour réfléchir à notre prochaine destination. C’était en fait une très bonne idée.
Pare-Pare n’est pas ce qu’on peut appeler un haut lieu touristique, et en même temps, vous aurez remarqué, chers lecteurs assidus, que les hauts-lieux touristiques ne sont pas vraiment notre tasse de thé.
Donc cette journée dans ce port de pêche coloré et affable sera excellente.
A présent, je vais vous parler de l’effet Indonésien. C’est super drôle.
Imaginez que vous êtes à Pare-Pare et que vous voudriez aller ailleurs en bus.
La première chose à faire est donc de trouver le terminal de bus. Vous demandez à un monsieur qui baragouine trois mots d’Anglais.
Il ne sait pas.
Il demande alors à son pote assis sur un banc à un mètre de là.
Le pote se lève, se mêle à votre groupe de protagoniste qui comptait trois personnes avant son arrivée, et montre une direction de la main.
Un autre monsieur qui voulait acheter des bananes frites passe par là et entend la conversation. Il est accompagné de ses deux fils.
Il arrête tout de suite le monsieur en train de parler pour lui dire que non, il se trompe, le terminal de bus n’est pas par là. Et d’ailleurs, où voulez-vous aller ?
– Tana Toraja (oui, nous avions réussi à prendre une décision)
Là, en cœur, ils poussent un « ooOOoooh… » d’entendement. Puis ils se remettent à parler, appellent leurs potes qui passent par-là, d’autres curieux se rajoutent, le terminal de bus devient un sujet de discorde, une affaire d’état, attention, deux touristes (ils disent boulay… ah, ah !) veulent prendre le bus ! Le tout a duré un quart d’heure, mais notre question a intéressé une bonne quinzaine de personnes.
Et finalement, nous ne savons pas plus où est le terminal de bus.
Le soir venu, nous décidons de boire une bière dans un restau chinois du centre-ville.
Des hommes (exclusivement) sont attablés et sirotent un café ou un thé. Nous sommes les seuls à boire de l’alcool.
L’un d’eux parle un peu Anglais. Doùvenezvousoùallezvous plus tard, il nous présente à son ami qui part demain pour Tana Toraja.
Ce que nous savons de cet endroit à ce moment-là : C’est dans les montagnes, et des natifs de ces terres pratiquent des rites funéraires différents des nôtres, dans le sens où pour eux, la mort est une bonne occaz de faire une grosse chouille avec tout le village.
Apparemment, selon le Lonely Planet (qui nous aide sur ce coup-là), ça vaut vraiment le détour.
L’ami en question ne parle qu’Indonésien et même si j’ai décidé de me mettre sérieusement à parler la langue parce que très peu de gens parlent Anglais ici, je ne suis pas bilingue.
Avec l’aide de l’anglophone, il nous explique qu’il est lui-même torajan, que son père vient de mourir, et qu’il veut nous inviter à la grosse chouille en l’honneur de son défunt géniteur.
Alors là, nous répondons de concert : « Et comment ! » Une telle occasion ne peut pas se manquer.
Après une petite heure de tergiversation où l’effet indonésien reprend du service, nous nous donnons rendez-vous le lendemain matin à un endroit dessiné sur un bout de papier par Yance (le torajan) à huit heures pour prendre le bus.
Nous irons chez lui et cela s’annonce cocasse avec nos trois mots d’indonésien et nos mains pour communiquer.
Le lendemain, 7h56, nous sommes miraculeusement déposés par un taxi à l’endroit indiqué. Personne. Nous attendons. Huit heures passent. Personne. Ah mais tout à l’heure avec le taxi nous sommes passés à côté d’un bus qui semblait s’en aller.
Ne l’aurait-on pas loupé ?
Peut-être. N’empêche que nous ne reverrons pas Yance. Il est parti enterrer son père et il ne nous a pas attendu pour le faire.
Par acquis de conscience, nous attendons une demi-heure pendant laquelle rien ne se passe.
Nous décidons alors de faire appel à l’effet indonésien : Un homme attend à ce qui ressemble à un arrêt de bus en face de nous.
Nous lui disons « Toraja ? ». Il nous fait signe de ne pas bouger. Un autre monsieur arrive. Ils parlent de nous. Un troisième monsieur fait son apparition. L’effet indonésien fonctionne une fois de plus. Au bout d’un quart d’heure, un minibus passe. Sur son pare-brise est écrit : « Tator » (nous apprendrons beaucoup plus tard que c’est une contraction de Tana Toraja).
Il se fait arrêter par les gens autour de nous, nous montons… Et nous sommes partis pour cinq heures de folie.
Bon, d’accord, nous avons finalement bien fait de ne pas voyager avec Perceval et Karadoc en Indonésie.
C’est ce que je me suis dit quand j’ai vu le motard qui venait de déboiter pour doubler un camion dans l’autre sens foncer droit sur notre pare-brise. Notre chauffeur est obligé de partir sur le bas-côté pour l’éviter.
Moi, j’ai vraiment cru que j’allais le prendre dans la mouille. Oui, effectivement, ils conduisent n’importe comment.
Les rond points, c’est juste pour décorer, ici. Ils conduisent au plus court. Ce qui signifie au final « au plus dangereux ».
Enfin suis-je en train de tenter de faire passer ma frustration ou bien est-ce un fait qui nous aurait empêché de rouler ? Qui sait.