Merci, les bébés.
Par une chaude journée de Janvier, nous vous avons trouvé dans un coin de garage de Labuan, tels Choupette, coccinelle Volkswagen devenue vivante pour gagner des courses automobiles américaines.
Nous n’avons gagné aucun US racing avec vous, mais nous avons quand même parcouru un petit bout de chemin ensemble. Pour vous rendre hommage, voici un bref résumé de nos péripéties.
Le jour où nous avons acheté Perceval, je n’avais pas conduit un scooter plus de deux heures dans ma vie, et encore moins un semi-automatique. Ce soir-là, sous la pluie, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai fait 20 tours de pâté de maison en tentant d’apprivoiser la boite de vitesse, encouragée par Aurel qui était resté sur le trottoir en fumant des clopes et en me donnant des conseils à chaque tour.
Au bout d’une demi-heure, je maîtrisais à peu près la bestiole. J’ai quand même fini ma course à 15 km/h en quatrième.
Nous vous avons sortis de votre petite île duty-free pour vous faire découvrir le monde avec nous. Les premiers temps n’étaient pas les meilleurs, j’en conviens.
Vous auriez aussi pu imaginer Bornéo comme une île magique, fourrée de jungle épaisse et de routes défoncées par les racines.
La première supposition était fausse, la seconde était vraie.
Oui, j’en conviens, les palmiers à huile sur 1000 km, ce n’est pas ce qu’il y a de plus bandant.
Pour nous non plus, ça n’a pas été une vraie partie de plaisir. La route en mauvais état, les trous béants en plein milieu de la chaussée, les camions chargés jusqu’au toit de fruits de palme qui se succédaient, tout cela n’avait pas de grand intérêt à part d’avoir une vitesse de croisière de 50 km/h.
Mais c’est ainsi que j’ai commencé à faire mes armes sur Karadoc, sur son kick insupportable qui me revenait dans la tronche et manquait de me tordre le genou, et ma maladresse ainsi que mon manque d’expérience pour démarrer rapidement lorsque la situation l’imposait. Il fallait passer par là.
Et puis il y a eu le choc, la rupture, la dépression qui s’en est suivie.
Non, vous ne viendrez pas avec nous en Indonésie, vous resterez sagement garés dans les bureaux de la douane de Tarakan, enchaînés et scellés par le bandeau officiel.
Cela nous aura coûté beaucoup d’argent, de temps et de négociations pour rien. Nous ne foulerons pas les sols de Sumatra ensemble. Nous ne foulerons d’ailleurs pas du tout les sols de Sumatra, le temps nous manquera cruellement.
C’était peut-être mieux comme ça.
L’Indonésie, c’est tellement grand, même deux mois ne sont pas suffisants, même en prenant l’avion.
Mais en rebroussant chemin avec vous, quelques semaines plus tard, le problème restait entier : Comment vous amener sur la terre ferme, vous faire quitter votre chapelet d’îles et commencer l’aventure, la vraie ?
Plusieurs solutions s’offraient à nous. La plus simple était de vous revendre et de vous trouver des remplaçants une fois en Malaisie péninsulaire. Mais les événements en avaient décidé autrement, Tawau s’était retrouvé assiégée par les Philippins durant notre absence, des chars s’étaient appropriés les rues puis étaient rentrés chez eux, laissant place à un calme un peu flippant.
Impossible de retourner vous border et vous raconter une histoire avant que vous vous endormiez une nouvelle fois à Labuan.
Nous avons bien essayé de vous vendre sur place, mais cela a traîné, les offres d’achat étaient ridicules, nous voulions passer à autre chose, nous avons donc pris la décision de vous emmener avec nous. Vous prendrez le bateau pour quitter définitivement Bornéo, vous nous rejoindrez à Kuala Lumpur, tandis que nous prendrons l’avion.
Morale de cette première partie de l’histoire : Acheter des mobs sur un archipel, ce n’est pas la meilleure idée que l’on ait eu. Mieux vaut attendre la terre ferme.
L’attente à KL a été longue. Trop longue, disent certains. Mais finalement, nous vous avons retrouvé dans un hangar, après des circonvolutions de plusieurs heures pour suivre votre trace.
Vous êtes là, vous êtes intacts, vous démarrez. Et l’aventure, la vraie, peut commencer.
L’aventure d’abord sur l’autoroute qui mène au centre de Kuala Lumpur à 16h30 un lundi. Un trafic dense, une circulation à gauche, des gens habitués à leur ville.
Pas nous.
Puis l’aventure pour retrouver son chemin lorsque l’on circule sur les voies spéciales mob dotées de mini ronds-points, de petits panneaux de circulation, mais d’aucun panneau directionnel.
Tenter de se repérer aux gratte-ciels s’avèrera infructueux, nous sommes perdus. Puis après d’autres circonvolutions, nous retrouvons notre route.
Ca y est, les bébés sont rentrés à la maison.
Après un check-up intégral de votre état de santé, nous voici repartis comme en 40. Nous avions perdu les bonnes habitudes de partir tôt, et cette première journée de route à rouler sur la bande d’arrêt d’urgence de la National Highway s’est vite transformée en cauchemar entre les averses, la vitesse des véhicules, et la nuit qui est tombée. On ne nous y reprendra plus.
Nous réapprenons à voyager comme bon nous semble. Plus la peine d’attendre des heures dans un terminal de bus, plus la peine de marcher en plein soleil en quête d’une Guest house pas trop chère, nous sommes libres comme l’air.
Les chauffeurs de tuk-tuk nous font sourire lorsqu’ils nous proposent leurs services, et nous déclinons en vous montrant fièrement un peu plus loin. Non, désolés, nous aussi sommes motorisés.
Nous quittons rapidement la Malaisie pour découvrir enfin les joies de l’absolue liberté et de la flânerie au hasard des routes. Nous nous retrouvons dans des endroits improbables, merveilleux, vierges de tout occidental, peut-être encore jamais découverts. Votre présence prend tout son sens, nous sommes des explorateurs, de vrais aventuriers, pas comme tous ces moutons qui montent dans des bus pour faire un tour qu’ils pensent unique mais que tous font dans un sens ou dans l’autre. Nous sommes maîtres de notre propre destin.
La traversée de Bangkok restera un épisode assez mémorable.
Perdus comme jamais, ayant l’interdiction de monter sur les autoroutes au-dessus de nos têtes car ces dernières sont interdites aux deux roues quels qu’ils soient, ne sachant plus où aller, nous nous dirigeons au soleil.
Puis dans un temple, au bord d’une rivière, un bac. Nous le prenons, la route tant recherchée est là. La circulation est dense, les gens conduisent comme des pieds, nous manquons à plusieurs reprises de nous faire renverser.
Mais nous en sortons indemnes, fatigués, las de tant de route. Record battu pour le nombre de kilomètres parcourus en une journée : 240.
Ce record le restera jusqu’à la fin.
Vous vous souvenez des petits avantages que nous avions ensemble ? Cette queue de 4 km de voitures sous une chaleur torride dans l’attente de monter dans le bateau pour Ko Chang, et nous qui passons devant tout le monde, remontons la file, arrivons au guichet, prenons nos billets et attendons que le prochain bateau se pointe ?
Combien de voitures ce jour-là ? 700 ? 800 ? Et vous, en tant que petits engins motorisés, vous nous avez permis de gagner 3 heures de notre vie.
Le Cambodge a été une sorte de consécration. Nous avons remonté le cours du Mékong sur de petits chemins qui sentent la noisette, nous avons évité scrupuleusement les grands axes routiers qui étaient en mauvais état, nous avons roulé sur des kilomètres de pistes…
Jusqu’à cet après-midi où la pluie s’est abattue sur une terre poussiéreuse qui a rendu notre périple des plus périlleux. La boue s’accrochait férocement à vos pneus, nous faisant déraper en moins de temps qu’il faut pour le dire. 3 kilomètres parcourus en une heure. Record battu.
Puis le Laos, l’épilogue de notre aventure ensemble.
Nous savions que nous devions vous vendre, les billets d’avions pour l’Inde sont pris, nous devions nous y prendre tôt si nous ne voulions pas perdre trop d’argent lors de votre vente. Une tempête essuyée, nos habits de pluie améliorés, nous remontons le long de la route numéro 13 jusqu’à Vientiane, objectif : Commencer une première prospection.
Ils sont nombreux à mordre à l’hameçon, mais nous ne sommes pas encore prêts à vous vendre à un prix aussi négocié. Depuis notre sortie de Malaisie, vous n’avez eu que compliments sur compliments. « Très solides », « Très beaux », « Magnifiques », « Très rares dans la région », nous n’avons entendu qu’éloges dithyrambiques sur vous, ce qui nous a gonflé notre orgueil et le prix de vente que nous espérions.
Nos derniers jours ensemble seront grandioses.
Un feu d’artifice avant de reprendre une vie normale de voyageur lambda.
Vangvieng et ses falaises bordées de rivières, ses grottes, ses pistes à flanc de montagnes qui mènent à des villages ancestraux sans eau ni électricité.
Et cette route numéro 13 qui n’en finit pas de nous émerveiller, cette guesthouse qui tombe à pic sur une vallée verdoyante où les nuages s’accrochent, ces descentes en roues libres sur 25 kilomètres, ces routes qui serpentent et que je maîtrise enfin ! Ca y est, je peux le dire, je sais conduire des semi-automatiques.
Ca aura été 9000 km de joies et de découvertes avec vous.
Vous ne nous aurez jamais lâché, jamais fait faux bond.
Vous êtes les meilleures mobs qu’un voyageur puisse espérer.
J’espère que Davie et Julie-Ann prendront bien soin de vous deux. Vous avez été trouvés ensemble, vous restez ensemble.
Vous êtes de supers bébés.
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