La nuit se passe bien, afin de ne pas rater notre station, nous nous réveillons vers 4h15, et un quart d’heure plus tard, le train s’arrête.
Nous voilà arrivés à Haridwar.
Ah non, c’est Kampur. Haridwar devrait être le prochain arrêt. Voire le suivant. Claire en profite pour essayer de glaner quelques minutes de sommeil pendant que je monte la garde.
En fait ce sera le 7ème arrêt, trois heures plus tard.
Et frais et reposés, nous descendons sur le quai, où nous attend Rajesh.
Toujours emballée. Nos aventures vont pouvoir recommencer.
A un détail près.
En la déballant nous nous apercevons avec stupeur et putréfaction que la poignée d’embrayage de la moto est amputée à la base. Pour rouler c’est du nanan.
Direction le bureau des colis pour leur signifier notre mécontentement et faire en sorte que cela soit réparé, à leurs frais bien entendu.
Il est 8 heures du matin, un jeune employé nonchalant nous explique qu’ils vont voir ce qu’ils peuvent faire pour nous, mais pas avant 10h, les garagistes n’aiment pas se lever tôt. Et on ne peut pas vraiment leur en vouloir.
Alors nous allons passer le temps en buvant des Chai, et en observant la population de cette petite ville qu’est Haridwar.
Haridwar est l’une des 9 villes saintes d’Inde, Vishnou y étant passé, à preuve son empreinte de pied dans le Ghât principal de la ville. Ghât où tous les soirs, à la tombée de la nuit, le Gange est célébré lors de la cérémonie du feu.
Mais nous y reviendrons, car il s’est passé deux heures et nous retournons à nos considérations plus terre à terre, récupérons notre mob.
A notre retour à la gare, et après quelques minutes, le jeune nous remet entre les mains de son supérieur hiérarchique.
Qui nous demande le reçu de transport pour la moto. Nous l’avons donné à un de ses bougres.
Puis il vient voir la moto et nous dit : « Ah, non, il n’y a pas de garantie la moto n’est pas emballée, maintenant cassez-vous ».
Nous lui expliquons que nous l’avons déballée, et que comme il le sait, vu que c’est son métier, aucune moto ne monte dans un train sans être dûment emballée.
Sa réponse : « no garanty, go away ».
Alors on monte dans les tours.
Claire récupère le reçu de transport qu’il gardait derrière son dos, pendant que je pars en quête d’un policier.
Entretemps, le chef du chef est arrivé, aimable comme un roquet à mémère qui aurait été privé de repas à table et nous enjoint de détacher nos sacs de la moto, de partir d’ici et de revenir quand la moto sera réparée. D’ici une heure, ou deux ou trois ou demain…
Ça s’annonce merveilleux !
On lui demande d’être plus précis et de nous affréter un taxi jusqu’à Rishikesh car c’est là que nous aimerions aller. A moto normalement si l’Indian Railway Company ne l’avait pas mise hors d’état de nuire Il devient rouge et nous dit non, surement pas.
Pour être honnête nous n’avions pas envie d’aller à Rishikesh aujourd’hui mais c’est un bon moyen de lui mettre la pression.
Alors après que nous lui ayons demandé de façon plus précise quand il comptait réparer Rajesh, il nous répond : « j’en sais rien, revenez quand vous voulez et vous verrez bien ».
Il est temps de faire intervenir nos amis les représentants des forces de l’ordre.
En l’occurrence un gros policier moustachu à qui nous signalons que nous souhaitons porter plainte contre le service des bagages de l’Indian Railway.
Oui cela paraît un peu disproportionné, mais cela à l’intérêt de le faire venir au cœur de l’action, puis comme il n’est que sous-fifre, partir chercher son supérieur hiérarchique.
Moustachu également, mais souriant, et efficace. Après deux minutes de palabres, il nous dit que nous pouvons détacher nos sacs et que la poignée va être changée immédiatement.
Pour cela il suffit de conduire la moto jusqu’au garagiste à côté et la poignée sera changée aux frais de l’Indian Railways.
Voilà, c’est fait, il aura fallu deux heures de plus mais cela est réglé.
Allons nous trouver une chambre où nous poser.
Et nous trouvons, grâce à un monsieur qui nous guide dans les ruelles de la ville, en courant devant la moto, vers un hôtel tenu par un homme d’âge avancé d’une gentillesse réconfortante.
Ce sera notre QG pendant trois jours.
Trois jours car Haridwar est une chouette ville, épargnée par les touristes, à part les nombreux indiens venus en pèlerinage dans cette ville sainte.
La ville est parsemée de temples et d’ashrams et ses ruelles sont calmes et avenantes.
Une ville où, au premier abord l’on se sent bien.
Et au second également.
L’attraction majeure de la ville est le ghât principal, installé sur un bras du Gange, et où s’opère tous les jours la fameuse cérémonie du feu.
Un son et lumière envoûtant même pour les païens que nous sommes.
D’abord cela commence avant que tombe la nuit.
Les croyants s’agglutinent par milliers au bord de l’eau, envoient des offrandes (un petit bateau en feuille de palmier, chargé de pétales de fleurs et d’une bougie) à la mère Ganga, puis se baignent dans le fleuve (démonté par les pluies) en se tenant aux chaînes leur permettant de ne pas se faire emporter par le flot impétueux.
En fond des hauts parleurs égrènent des mantras.
Puis le soleil lentement disparait, laissant place à la nuit.
Sauf ici.
Partout dans le ghât des hommes porteurs de grandes torches enflammées apparaissent, les haut parleurs diffusent maintenant une jolie chanson très spirituelle où il est question de Dieux, de la mère Gange et de feu purificateur, mais dont le sens précis nous échappe hélas un peu.
La foule se lève, bras levés dans une ferveur enflammée et amicale, des chauffeurs de salle aspergent tout le monde d’eau du Gange, pendant que d’autres (pas fous) vont collecter des dons.
Puis après une bonne vingtaine de minutes de transe générale, la musique et les chants se taisent, et tous les dévots se pressent vers les prêtres pour obtenir leur ostie et leur vin de messe local, à savoir une poignée de sucre et une rasade de lait, versée à même leurs mains, qu’ils essuient ensuite dans leurs cheveux.
Pour être franc, nous n’avons pas tout pigé, mais c’est beau à voir, c’est convivial et la musique est bonne.
Et en plus, nous avons du bol, car lors de notre séjour on fête un anniversaire. Celui de Krishna.
Du coup la ville est en liesse.
Dans la rue principale, une grande scène est installée, et des acteurs dansent la vie de Krishna sur de la musique pop, déguisés en leurs Dieux.
Et dans de nombreux ashrams de la ville, des crèches vivantes peuplées d’enfants ou d’adolescents qui retracent, dans une immobilité chargée de fierté, la vie du gars Krishna, aux rythmes de fanfares survoltées.
C’est un spectacle assez fou et plutôt euphorisant qui se continue dans les rues où les habits du dimanche sont de sortie. Les plus beaux Saari rivalisent entre eux dans une ambiance bon enfant, les gens se parlent, l’esprit de Noël à encore quelques cours à prendre.
Ca a été également l’occasion pour nous d’aller voir la statue gigantesque de Shiva au bord du Gange, à quelques kilomètres de là.
Des pèlerins y viennent régulièrement pour y déposer des cadeaux à ses pieds de 2m de long.
Nous décidons de nous arrêter quelques instants sur le ghât qui jouxte la statue pour apprécier la langueur des ces flots impétueux en nette crue.
Un jeune indien vient nous voir et nous parler avec les 3 mots d’Anglais qu’il connait. Il vit dans l’Ashram juste sur ce ghât avec ses amis et voue un culte sans limite à Shiva.
Enfin à Shiva, et aussi au Shilom.
Il nous sort un morceau de shit gros comme son pouce et entame le rituel.
Pendant ce temps, ça ne manque jamais, ses amis viennent le rejoindre. La plupart d’entre eux sont timides ou ne parlent pas anglais. Mais parmi eux, un personnage haut en couleur se démarque.
Un vieux sadhu tente de communiquer avec nous. Il fait poser une couverture par terre et nous invite à le rejoindre. Déménagement sur la couverture.
C’est ainsi que tout ce petit monde se retrouve à fumer le chilom sur le bord du Gange au pied de la statue de Shiva.
Voilà pour le cliché.
Nous, nous ne sommes pas Hindous, et nous ne sommes pas fous. Le chilom se fumera sans nous. Pas question de se vriller les neurones avec des gens que nous ne connaissons que depuis 10 minutes. D’autant plus qu’il est 15h30.
Puis le sadhu nous met sous le nez un bébé.
Un bébé bien étrange car il a les yeux bleus.
Il nous explique comme il peut que c’est le fils d’une indienne de la communauté et d’un Anglais qui vient se retourner la tête tous les ans pendant quelques semaines. Quand il a su que la jeune femme était enceinte, il a pris son courage à deux mains, et il est parti en Amérique du Sud.
Ce qui lui vaudra le surnom auprès du sadhu de « Silly man » (homme bête pour ceux qui ne connaissent pas l’anglais).
Il n’aura de cesse de nous répéter cette expression « Shiva Puri » en le montrant, ce qui ne nous a pas appris grand-chose sur ce qu’il voulait dire. Nous en avons déduit que cet enfant qui n’a pas de père officiel mais plutôt une tripotée de pères stones devait certainement être considéré à présent comme le fils spirituel de Shiva et donc comme une sorte de messie.
En fait, nous apprendrons quelques jours plus tard que Shivapuri est un prénom très répandu en Inde.
Cela dit, la conversation se tourne vers nous. « Et vous, alors ? Vous n’avez pas d’enfants ? »
LA question que l’on entend partout, tout le temps depuis que l’on est partis (et même en France, elle se pose……). Incroyable, impensable pour certains que nous n’ayons pas d’enfants à nos âges.
Pour qu’on nous laisse tranquille, nous avons élaboré la stratégie du « restons vagues ». C’est-à-dire qu’à cette question, nous prenons un air un peu gêné, un peu triste, et nous répondons simplement « Non, nous n’avons pas d’enfant ». Ce qui signifie pour eux « Nous avons essayé, mais nous avons eu des problèmes » et en général c’est suffisant pour qu’ils ne posent pas plus de question.
Mais en Inde cette technique ne marche pas bien. Pour eux, et vous l’aurez certainement remarqué vu leur nombre, il y a toujours une solution pour faire des enfants.
Pour preuve, les cliniques spécialisées dans la fertilité qui pullulent un peu partout, même dans les zones rurales.
Pire que cela : Une femme qui fume une cigarette en Inde, à plus forte raison une femme en âge de faire des enfants est intolérable pour certains. En me promenant ma clope à la main, je sens sur moi des regards encore plus pesants qu’à l’accoutumée et j’entends le mot « cigarette » derrière mon dos toutes les 3 minutes.
Du coup, vous vous doutez bien que notre technique de « Restons vagues » lorsque la question est posée et que j’allume une clope me revient dans la tronche en quelques secondes. « Pas étonnant qu’elle ne puisse pas lui donner d’enfants si elle fume », murmure la femme à son mari.
Mais les hommes sont plus tolérants à ce sujet. Donc revenons à notre communauté de hippie.
Le jeune nous fabrique deux colliers à base d’un fil blanc de Bramah et d’une boule étrange de Shiva. Pour que nous puissions avoir des enfants, il nous faudra faire tourner la boule sur son fil 20 fois le matin et 20 fois le soir en récitant un mantra. Fertilité assurée. Nous le remercions pour son geste et décidons qu’il nous faut repartir vers de nouvelles aventures.
Après avoir salué et remercié tous les protagonistes, notre jeune indien planeur nous prend à part et nous demande de l’argent pour le cadeau qu’il nous a fait. Ah oui, voilà. Un cadeau payant. Nous regardons dans nos poches, nous avons à peine 20 roupies. Il nous demande alors 500 roupies. Nous le regardons avec des yeux ronds, prêts à couper le lien qui s’était tissé entre lui et nous. Il se met alors à rigoler comme mes amis de Première entre la Permanence et le cours d’Italien et nous dit qu’il plaisante, qu’il voulait juste voir notre tête et que ça valait le coup.
On s’est fait avoir comme des touristes Sud Coréens.
Haridwar donc, une ville empreinte de magie, de calme et d’authentique, bien au dessus de Vârânasî en terme de culture hindoue, que nous quittons pour suivre la trace d’autres hippies, plus occidentaux ceux-là, des hippies qui font du yoga et de la méditation dans des ashrams en écoutant l’album blanc des Beatles : Direction Rishikesh, à 25 km de là.
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