Nous vous parlions en fin d’article précédent du barbier de rue et de la violence.
La violence vous a interpellé, vous a donné faim?
Nous ne voulions pas trop en parler mais le destin, ce facétieux polisson, nous a fait tomber sur l’un des nombreux et pourtant palpitants articles du Lonely Planet qui décrit les yeux emplis d’émotions et le cœur plein de sagesse, l’un des musts absolu du coin : se faire raser par un barbier de rue.
Alors certes nous ne sommes pas au Népal, mais en Inde, à Manali pour ceux qui ont raté le précédent article (ce qui est bêta car il est chouette), et c’est là que votre humble serviteur à vécu cette expérience inoubliable.
Comprenez bien, car cela va aller vite et avec peu d’images.
L’homme-barbier-de-rue m’enduit d’abord le visage (celui que jalousent Georges, Brad et tant d’autres stars des Amériques et d’ailleurs) de mousse à raser, grâce à un bon blaireau des familles (qui n’a rien à voir avec les personnes ne sachant pas prononcer le nom de la ville de Leh).
Le blaireau est un ustensile agréable, aussi me le passe t’il sur la face pendant un long moment.
Puis il s’arme d’un coupe-chou à l’ancienne, après en avoir changé la lame parce qu’on ne rase pas le prestige avec une vieille lame.
Et c’est un long travail (deux semaines sans se raser chez un latino ça fait du poil), il passe la lame sur ma peau de bébé, en essuie la mousse sur sa paume, et recommence jusqu’à ce que je sois lisse comme un poupon rose.
Et puis me demande si je souhaite un massage du visage. Et bien oui, car aujourd’hui, c’est décidé, je prends soin de moi. Mon côté pétasse.
Aussitôt il m’enduit la trogne d’une crème blanche comme un cul de danois et épaisse comme la pensée d’un électeur du FN et commence son massage.
Au début c’est apaisant, c’est doux et ça fleure bon.
Puis les choses s’accélèrent, mon visage est pétri comme de la pâte à chappattis, mon cuir chevelu est maltraité, de petites baffes me pleuvent dessus, ma tête est prise en étau, entre ses mains puissantes.
Une larme me coule de l’œil, car de la crème s’y est aventurée (et non pas parce que je souffre).
Cela dure en tout un quart d’heure environ à ce régime. Puis il m’attrape tous les doigts un par un et s’en sert pour me secouer le bras.
Quelques coups de ciseaux pour rafraîchir ma coiffure, et voilà, je suis libéré.
Une modique somme passe de main en main et nous pouvons rentrer.
Je suis frais, propre, parfumé comme pour un bal chez la marquise et je brille de mille feux.
C’était bien.
Cela fait nous repartons au chaud, là-bas dans la vallée.
Rajesh fait de drôles de bruits. Mais roule toujours…
La descente dans la vallée nous propose encore des panoramas de carte postale, et un ville fortifiée du nom de Mandi.
Qui sera notre halte pour la nuit en attendant notre objectif réel…
A quelques centaines kilomètres de Manali, une ville retient notre attention.
Une ville française d’une certaine façon. Une terre de Sikhs. Un peu l’Amérique aussi.
Chandighar.
En terre Punjab.
Ville récente, ville riche et prospère, ville propre, ville éduquée (97% d’alphabétisation ce qui est un record en Inde).
Cette ville à été pensée et dessinée par Lecorbusier (à la demande des Indiens, si, si).
Ville française donc, même si sa structure, pensée pour être pratique, pleine d’espaces verts et sans embouteillages, fait plutôt penser à une ville américaine.
Des lignes droites et perpendiculaires forment les rues.
Au centre de chaque espace, une zone de vie : habitations, commerces, écoles et espaces verts.
C’est rationnel, c’est carré, c’est propre.
Ce n’est pas l’Inde.
Si c’est l’Inde en vrai, mais c’est tellement loin de ce que nous avons vécu jusque là que la surprise est de taille, d’autant qu’ici le code de la route est un peu respecté.
Nous y passerons trois nuits, la pute de Rajesh ayant décidé de nous emmerder à nouveau en réclamant un nouveau piston.
Et ce sera l’occasion d’une rencontre comme nous n’en faisons qu’occasionnellement.
Mohit, 25 ans, ingénieur hydraulique pour une société allemande de tracteurs et assimilés, célibataire et adorable.
Mohit est Indien.
Il nous a causé dans la salle d’attente du garage Enfield, puis nous à invité à aller dîner au restau avec lui le second soir.
Dîner qui se fera chez lui finalement.
Mohit habite le secteur 47, qui, par chance est le secteur voisin de notre hôtel, se situant lui-même dans le secteur 58.
Déjà, rien que pour le côté film d’anticipation américain des années 90, je trouve ça cool.
Il nous fait entrer dans une belle résidence toute blanche, dans laquelle il loue une chambre à la famille propriétaire des lieux.
Il vaut mieux donc ne pas faire de bruit lorsque l’on se trouve sur la terrasse, et ne surtout pas fumer à son étage. Un peu comme chez papa et maman.
Et papa et maman, nous allons en entendre parler, ce soir, pour tenter de comprendre comment les familles indiennes bien nées s’organisent dans leur micro société.
Au commencement, Mohit est nerveux, comme avant un premier rendez-vous avec une fille. Il s’active fébrilement, s’excuse de nous donner un verre, nous demande toutes les 30 secondes si nous sommes bien installés, et son manque d’assurance commence à nous mettre mal à l’aise à notre tour.
Alors nous le faisons parler. Et boire.
Mohit est Brahman, issu d’une riche famille de l’Himachal Pradesh, et est le seul garçon que ses parents aient eu. De ce fait, il porte sur les épaules la lourde charge de faire honneur à sa famille en écoutant attentivement ce que ses parents lui conseillent.
Mohit est un ingénieur talentueux. Il y a quelques mois de cela, une boite Australienne s’est rapprochée de lui pour lui proposer un contrat au pays des kangourous avec le salaire qui va bien, en plus du facteur épanouissement personnel qu’il pourrait développer à loisir en devenant un jeune homme reconnu comme étant l’un des meilleurs ingénieurs hydrauliques de l’Asie, ce qui claque quand même pas mal, vous en conviendrez.
C’était sans compter sur ses parents, qui ont mis un terme net à ses ambitions : L’Australie c’est trop loin, il est hors de question qu’il s’en aille si loin de sa famille, et de toute façon, que ferait-il de tout cet argent ?
L’argent n’est pas une fin en soi, Mohit, et si tu t’ennuies dans ton travail actuel, tu n’as qu’à en prendre un autre, de préférence pas très loin de tes parents, par exemple à Chandigarh.
Ce que Mohit finit par faire, contraint de plier sous la pression familiale.
Voilà ce qu’il nous explique tandis que nous avons ouvert une bouteille de whisky qu’il planquait dans son placard et que je sers consciencieusement aux deux hommes de cette pièce. Juste une petite lichette pour moi, je n’aime pas être pompette.
Puis il nous parle de l’Hindouisme, de son amour pour Hanuman, le Dieu-Singe et « La mère », dont nous n’aurons pas plus de précisions à part le sourire béat qu’il affiche quand il en parle, donc elle doit être sympa.
Enfin, au bout de quelques heures, d’un apéro dînatoire et d’une bouteille de whisky, Mohit est vachement plus détendu. Il est drôle, se laisse aller, et nous parle de gonzesses.
Mohit n’est pas encore marié. Il n’est même pas promis à quelqu’une pour le moment. Il a tout de même l’avantage de pouvoir choisir son épouse, ses parents ne l’obligeront pas à se marier. Il peut tout à fait épouser une étrangère, une femme d’une autre caste, du moment qu’il la trouve à son goût, ça le regarde.
Mais il n’arrive pas à trouver chaussure à son pied. Il rêve d’un amour pur, tout fleur bleue qu’il est, imagine que l’amour doit se découvrir pour la première fois à deux, lors de la nuit de noces, et espère vraiment se marier bientôt, lorsqu’il aura rencontré The one. On nage dans la comédie romantique bollywoodienne.
Mais à force de whisky, il nous pose des questions sur les françaises. Sont-elles belles, gentilles, aimantes ? Nous faisons fi de lui dire qu’une jeune française de 25 ans ne découvrira en général pas grand-chose de l’amour avec lui et lui parlons de Mélo, comme elle est belle et douce.
Puis nous lui promettons que si un jour il prévoit de venir en France, nous l’emmènerons au Requin Chagrin pour le déniaiser un peu. Il trépigne de joie et nous invite dans la même phrase à son hypothétique mariage.
Deal.
Il est mignon, Mohit.
On le sent seul, entouré de sa famille trop couveuse, à essayer de construire sa vie comme il l’entend, alors qu’il ne l’entendra certainement jamais. Lors de la séance photo qui clôture cette soirée où 1.5L de whisky a disparu, il nous canarde, certainement dans l’optique de montrer à tous ses potes avec qui il a passé la soirée hier.
Rond comme un Indien un dimanche, il veut nous escorter en moto jusqu’à notre hôtel, à 1 km de là. Nous le supplions de n’en faire rien, mais il nous suit malgré tout, et nous raccompagne jusqu’à notre porte.
C’est ici que nous nous disons au revoir, à 2h du mat, après une très belle soirée à écouter un jeune homme nous parler de sa vie.
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