Tana Toraja

 

Vu que le Lonely Planet a l’air de ne pas trop se gourer pour cette fois-ci étant donnés les paysages bucoliques de l’Asie profonde qui font dire merci à nos yeux, nous décidons de tester sa confiance en nous rendant dans l’un des hôtels listés. Nous ne sommes pas déçus, une seconde fois.

Nous pataugeons dans le luxe d’une chambre avec fenêtres, draps blancs, grand lit, balcon avec vue sur la campagne et les montagnes, wi-fi, et salle de bain privative avec eau chaude.

Il faut dire que depuis notre arrivée en terre indonésienne notre pouvoir d’achat a considérablement augmenté. Merci la rupiah.

Première journée réservée au kiffage (ou kiffation) de notre situation. On saute sur le lit, on fume des clopes sur notre balcon, on se skype avec la matriarche, on médite face à la beauté des rizières et de leurs buffles qui prennent nonchalamment leur bain de boue quotidien.

Deuxième journée. Nous nous louons un scooter (ah bah, il ferait beau voir qu’on ne sillonne pas du tout les routes indonésiennes par nous-mêmes, tiens !) et partons à l’aventure. Alors, qu’est-ce qu’ils ont dans le bide, ces Torajans ?

Déjà, ils font de jolies maisons en bois peint. Nous n’avons pas compris comment ils montaient dans leur maison puisqu’elle est portée par quatre pilotis, eux-mêmes posés sur une épaisse dalle de pierre, le tout s’élevant à deux bons mètres du sol.

De plus, ces maisons n’ont pas de fenêtre. Mais qui sommes-nous pour juger ? S’ils aiment vivre dans le noir, laissons-les faire.

Non, mais en fait je crois qu’ils ne vivent pas vraiment dedans. Ces maisons sont souvent sur des terrains où une vraie maison confort est également construite. C’est juste un signe d’appartenance.

Ah non, en fait pas vraiment, parce qu’il y a aussi des villages entiers avec cette architecture exclusive. Et dans ces villages, nous retrouvons également un genre de préau, de type « salle des fêtes » où nos torajans se réunissent pour débattre de leurs faits d’actualité à eux. Il y a aussi de curieux petits abris ouverts, légèrement surélevés, disposés en cercle autour d’une place poussiéreuse, elle-même dominée par une de leurs maisons, mais vachement grosse, celle-là. Certainement la maison du chef. Mais nous y reviendrons.

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Notre première destination sera un cimetière creusé dans une falaise.

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Ca fait aventurier, hein ?

Bah oui, mais c’est exactement ce qu’on a vu : Des cercueils enfoncés dans des trous au-dessus de nos têtes, des crânes humains qui ponctuent notre promenade et même une grotte où il fait hyper noir dedans, avec des cercueils ouverts placés au-dessus de nous, comme rangés négligemment sur des étagères.

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C’est comme ça qu’on fait, ici.

Et encore plus fort : Ils sculptent un mannequin en bois à l’effigie du mort, et ils le mettent dans une tribune avec tous les autres, comme si les morts regardaient les vivants qui viennent leur rendre visite. Ils sont pas trop forts, ces torajans ?

Mais toujours en quête de plus d’aventure, nous ne nous arrêtons pas là !

Tiens, une goutte. Il commence à pleuvoir un peu, je crois.

Qu’importe ! Nous enfourchons notre scoot et filons droit vers notre seconde destination : Un village 100% torajan.

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En fait, je vous en ai déjà parlé.

Alors avançons.

Il a déjà plu pas mal mais nous profitons d’une accalmie pour repartir à l’aventure.

Munis de notre carte (un morceau de papier blanc sur lequel sont dessinées grossièrement les routes et les villes), nous continuons notre route, puis tournons à gauche, sur un petit chemin qui sent la noisette.

Je laisse les photos faire leur effet.

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Merci dame nature de nous laisser nous émerveiller de ta beauté.

Là, il pleut, et pas pour de faux. Nous avons à peine le temps de nous abriter sous le toit d’une maison inhabitée que des litres d’eau se déversent goulument des nuages. Alors attendons.

On attend.

On attend encore.

Un chiot passe devant nous en courant pour s’abriter ailleurs.

Une poule vient taper la discute.

Et nous attendons toujours.

La pluie n’a aucunement l’intention de s’arrêter. Il va nous falloir braver les éléments.

Très bien. Ce n’est pas une pluie équatoriale qui va nous faire peur. Nous continuons notre route.

Tiens bah la route, parlons-en ! Plus nous nous enfonçons dans la campagne profonde, moins nous roulons sur du goudron.

Vers la fin, ce sont carrément des pierres. Alors imaginez nous, trempés comme des soupes chinoises, bravant vaillamment des torrents qui se sont formés sur notre chemin, grimpant des côtes où les pierres roulent sous le poids des cascades de boue…

Nous avons mis deux heures et demie à faire quinze bornes.

Pas mécontents de revoir Rantepao, capitale Torajane où nous sommes basés, nous enlevons nos habits trempés et sautons dans la douche chaude. La montagne, ça vous gagne !

Troisième journée. Ragaillardis par un sommeil réparateur et un air plus qu’oxygéné, nous repartons à la conquête de Tana Toraja.

Il fait à peu près beau, nous roulons au milieu des rizières sur des chemins qui serpentent, les gamins qui croisent notre route nous saluent gaiment, que va-t-il nous arriver aujourd’hui ?

Un truc de fou.

Nous grimpons sur la route à la recherche d’une ville nommée Bori pour voir un truc qui a l’air bien mais nous n’avons pas compris quoi.

Puis nous entrons dans un village. Et là, nous voyons les étranges abris entourant la place du village dominée par l’immense maison, pleins à craquer de gens.

Il doit y avoir 150 personnes selon moi, 12 selon la police, et 300 selon Aurel, qui a vécu à Aix-en-Provence, ce qui n’est quand même pas très loin de Marseille.

Sur la place du village, quatre ou cinq buffles sont menés par le bout du nez par leur propriétaire.

Cool, une foire aux buffles !

Arrêtons-nous un instant pour observer ! Quelques secondes suffisent pour que les habitants nous repèrent et nous invitent à les rejoindre dans leurs abris.

Ok, ça fait longtemps que nous ne nous faisons plus prier quand ce genre d’invitation intervient. Ca ne parle pas beaucoup Anglais, mais un Philippin qui assiste lui aussi à la vente des bestiaux communique avec nous.

A ma gauche, une petite vieille de quatre-vingt balais me parle en Indonésien en me souriant de toutes ses dents (environ cinq) jaunies par les années et le tabac à chiquer. Elle pointe mon mari du doigt en souriant et me montre son pouce. Il a l’air à son goût…

Aurel se fait alpaguer par les hommes du groupe qui parlent mi-indonésien, mi-anglais. Un type avec une casquette de capitaine de bateau semble gérer les enchères sous la maison du chef. Tout le monde sourit, c’est détendu.

Puis une femme prend le micro.

Tout le monde se tait. Elle parle sans relâche, les yeux fermés. Très investie.

Puis elle se tait, rend le micro au capitaine, et les langues se délient. Au bout de quelques secondes, le Philippin nous explique que la femme priait.

Ah bon ? Mais pourquoi ?

Parce qu’on est à un enterrement, ma belle.

Non, pas une foire aux bestiaux. Des torajans nous ont invité à l’enterrement de quelqu’un qu’on ne connait pas. Comme Yance a voulu le faire lorsque nous étions à Pare-Pare.

Et vu qu’il parait que c’est assez fou, nous n’allons pas partir de sitôt.

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Une fois que le capitaine (qui est en fait le prêtre) a terminé sa logorrhée, ça s’active.

Les gamins retournent dans le giron de leur mère. Les gens (qui sont tous en noir, j’aurais pu remarquer ce détail) s’installent confortablement.

Quelque chose d’imminent va changer le cours de l’action. Oui, ils apportent la bouffe.

Du riz, du cochon grillé, des bâtonnets de riz à la noix de coco et de l’alcool qui te décalque la tronche, artisanal, fait à base de lait de coco.

Ils nous donnent toujours plus de nourriture.

Nous n’avons pas pris de petit dej, donc nous ne refusons pas.

C’est la famille du mort qui régale, c’est comme ça, c’est la tradition. Et ils ont tous prévus le coup, les bougres : La petite vieille à côté de moi enveloppe un peu de barbaque et de riz dans des papiers, et met le tout dans un sac plastique qu’elle emportera chez elle.

Et ils font tous ça. Du coup, ils nous font également un petit panier repas qu’on pourra manger plus tard en cas de petit creux.

Ensuite, temps mort. Que se passe-t-il ?

Le Philippin (mais qu’est-ce qu’il fait là, lui aussi, d’ailleurs ?) nous renseigne : Maintenant, ils vont chercher le corps et l’apporter ici. Après il y aura un combat de buffles. Demain et après-demain, il ne se passera rien. Puis lundi, re-fête de fou en l’honneur du mort. Et si tout se passe bien, ils l’enterrent mardi.

Mais le mort, d’ailleurs, c’est qui ?

En fait il y en a deux. Accident de voiture. Une femme de 80 ans et son fils de 50.

Justement, ils apportent le corps de la femme. Les gens se lèvent, vont voir le cercueil, s’assoient dessus, plaisantent, rigolent.

Puis quelques minutes plus tard, une dizaine d’hommes transportent le cercueil du fils en titubant.

Ça les fait marrer. Ils font semblant de perdre l’équilibre, font croire qu’ils vont lâcher le cercueil, puis repartent dans la bonne direction.

A côté d’eux surgit une personne que cette situation fait nettement moins marrer : La veuve qui hurle à la mort, et c’est bien l’expression qui convient. Le visage enveloppé dans une écharpe de dentelle noire, elle pleure toutes les larmes de son corps puis se jette sur le cercueil de son mari posé près de celui de sa belle-mère.

Le fils supposé du défunt est beaucoup moins démonstratif : Il essuie une larme, son pote lui dit un truc, puis il éclate de rire. J’ai l’impression d’être sur une autre planète.

Ça rigole et ça dramatise de toutes parts.

Ca y est, c’est l’heure du combat de buffles !

Levons-nous pour nous rendre au lieu de joute. Par ici ? Non, en fait ils vont le faire dans le champ en bas, il y aura plus de place. Le premier buffle est en place, le second arrive tranquillement, tiré par le nez, puis tous deux se voient, et ça charge aussi sec. J’aurais pas aimé me retrouver entre les deux.

Heureusement, le combat de buffle n’est pas aussi bordé que le combat de coqs : Quelques secondes de combat ont suffi à l’un d’eux pour avoir sa dose : Il détale sans demander son reste. L’autre est déclaré vainqueur.

Ok, on va y aller, merci infiniment pour cette après-midi, nous ne sommes pas prêts d’oublier cette expérience.

Allons voir le truc à Bori ! Parce que quand même c’est ce qu’on partait voir initialement.

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Ah oui, mais il se met à pleuvoir.

Ne désirant pas nécessairement réitérer l’expérience de la veille, nous écourtons notre aventure, repartant tranquillement vers Rantepao en prenant une autre route… Encore une fois sublime.

Quatrième jour. Nous nous sentons d’attaque à braver la montagne, la vraie !

Il fait très beau, pas trop chaud, nous prenons une route qui monte comme il faut.

Puis comme d’habitude, la route se transforme en chemin caillouteux, mais trop tard pour nous donner l’envie de rebrousser chemin. S’en suit une longue séquence de moto cross sur un scooter de ville de 50cc orchestrée de mains de maître par Aurel.

Deux bonnes heures de galère, ponctuées sans relâche par les « Hello ! » des gamins en uniforme qui sortent de l’école.

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Nous avons battu notre record de signe de la main. Même la Reine d’Angleterre n’en a pas fait autant en une journée dans toute sa vie.

Puis…

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Et là, ça se passe de commentaire.

Ces journées ont été formidables, on n’en est mis plein les mirettes, les gens ont été adorables, Tana Toraja c’est que du bon.

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Demain matin, nous partons pour Palu où nous allons rejoindre Heyri, notre bienfaiteur de Tarakan. Il veut nous montrer deux-trois trucs sur sa région natale.

Vingt-quatre heures de bus. Mais maintenant, nous sommes rodés.

Et puis c’est une autre histoire.

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