Nous avons quitté Surin et ses éléphants pour Ubon-Ratchathani.
Ubon est une petite ville posée au bord d’une rivière non boueuse.
J’en parle parce que c’est assez rare pour être noté.
Le côté non boueux de la rivière.
Et, cerise sur le méchoui, cette rivière (qui a un nom à coucher dehors, à savoir la rivière Mun) est, par endroits, délicieusement recouverte de milliers de nénuphars. C’est d’un bucolisme émouvant.
Ubon.
Notre support de voyage, le Lonely Planet, en disait du bien. « C’est une des rares villes Thaïlandaise qui mérite de s’y balader (ou d’y baguenauder) à pied, son quartier piéton vous ravira… » Le gars qui a écrit cela a du avoir une aventure sexuelle voire sentimentale avec une jeune femme locale et en perdre la raison.
Mais Ubon est sympa. Ses bords de marne sont délicieux pour y prendre un apéro.
Plus intéressants sont ses alentours. Déjà parce que ce n’est pas une ville aux rue perpendiculaires et aux nuages de carburant mal brûlé.
Non c’est douceur, calme, sourires et volupté.
Et notamment Ban Sa Ao, un petit village à quelques kilomètres au nord, auquel on accède par une petite route boisée et rizièrifié. Ou, selon vos inclinaisons, par de petits chemins de terre.
Rouge la terre, toujours, sinon c’est signe de mauvais Karma. Et ça pour vos pommes, ce n’est pas le mieux du monde.
Nous voilà arrivés à Ban Sa Ao. « Pourquoi là? » me demanderiez-vous si vous aviez une once de curiosité intellectuelle.
Parce que, c’est un village qui depuis des générations et des générations, perpétue l’art complexe de couler des bronzes.
Oui, j’en imagine quelques-uns pouffer en se tapant les cuisses.
Un village de couleurs de bronze, à la cire perdue. Qu’est-ce ?
Le bronze est un métal de couleur plutôt jaune, ayant donné son nom à une époque de l’humanité (l’âge de bronze) et c’est pas rien. La cire est une matière plutôt sympa, qui sert à faire des bougies, des boules quiès, des statues de célébrités, et qui provient originellement de nos copines les abeilles.
Couler un bronze signifier faire couler du bronze à l’état liquide dans un moule de façon à en faire un objet en bronze.
Pour certains cela signifie déféquer. Mais perso, je ne vois pas le lien. Qui défèque du métal doré brûlant?
Donc dans ce village, depuis des générations, on coule du bronze.
De manière à en faire des objets. Des cloches, des clochettes, des vases… Et maintenant pourquoi à la cire perdue ?
Mode d’emploi du coulage de bronze à la cire perdue
Etape 1 : A l’aide de douces mains délicates (généralement féminines) confectionnez à l’aide de cire de jolis objets. En vous aidant, si besoin de terre argileuse comme support.
Etape 2 : Une fois la forme souhaitée réalisée, enfermez-la délicatement (les mains féminines sont encore préférables) dans de la terre argileuse (glaise par exemple, à condition que celle-ci soit mélangé à du fumier de ruminant (vache, cheval) afin de lui donner une certaine porosité, utile dans l’étape suivante. Et en laissant une tige de cire lier l’objet façonné ci-dessus avec l’air libre.
Etape 3 : Votre petit pot de terre cuite pas encore cuite en main, placez-le avec délicatesse dans un brasier de bois bien brûlant. Et laissez cuire à feu soutenu le temps que cela soit cuit.
C’est là qu’intervient le fumier de ruminant. Contenant des fibres, qui vont brûler, il permettra à l’air de circuler (et ainsi d’éviter que votre pot ne pète) et également à la cire, qui ne supportant pas très bien ces températures, d’aller se faire la malle vers des cieux plus clément. Laissant au cœur du pot de terre cuite (ou sur le point de l’être), son empreinte figée.
La cire s’est barrée. Elle est perdue !
Etape 4 : Votre pot de terre est cuit. C’est chouette et brûlant, ne le touchez pas avec les doigts.
Etape 5 : Dans une marmite à proximité, du bronze chauffé à blanc se la coule douce. Pensez à bien touiller et surtout à enlever les dépôts que vous trouverez à sa surface.
Etape 6 : Sortez votre pot de terre cuite et posez-le (avec les précautions d’usage en matière de températures très élevées) près de votre marmite de bronze.
Etape 7 : versez dans l’orifice (préalablement réalisé grâce à la cire susmentionnée) le bronze liquide. Soyez prudent, tout est très très très chaud.
Etape 8 : Allez boire un coup le temps que ça refroidisse un peu.
Etape 9 : Revenez, pas trop bourré. Et défoncez délicatement, mais avec fermeté, le petit pot de terre cuite que vous vous êtes fait chier à faire dans l’étape 2.
Etape 10 : Alléluia, Hosanna… apparait au cœur de cette rustre terre cuite, une grappe de perles dorées (très chaude, pas touche). Dans notre cas ce furent de petits grelots à chèvre.
Etape 11 : Barrez-vous avec vos grelots voir des combats de boxe thaï avec vos nouveaux amis les fondeurs, pendant que leurs épouses ébarbent les joyaux nouvellement créés.
Et voilà !
PS : quelques petits malins m’ont demandé pourquoi on appelle ça « à la cire perdue et pas à la cire et à la terre cuite perdues ». Je n’en sais rien, mais émettrais volontiers deux hypothèses : – la première étant que la cire donne sa forme à l’objet, elle a donc priorité – la seconde est que cela ferait un peu long. – et enfin parce que jamais deux sans trois, à ces personnes je conseillerai d’avoir une vie sociale.
Reste plus qu’à rentrer à Ubon, et se prendre une chouille carabinée au Regency Thaï qui se boit avec de l’eau gazeuse au bord de la rivière aux nénuphars avec un nom à coucher dehors.
Et repartir pour de nouvelles épopées dantesques.
Ce qui ne sera pas très facile, je ne sais pas comment les Thaïs peuvent s’enfiler des litres de Regency et continuer à vivre.
Nous avons été pourtant relativement sages hier soir, mais ce matin nous entendons sonner toutes les clochettes, cloches et autres objets métalliques de nos amis fondeurs, tintinnabuler dans nos têtes…
Vous le savez, nous sommes tout sauf des petites natures, alors un shot de vodka et en route ! Direction Khong Djam, ou Khong Xiam ou Khong Chiam, selon les panneaux.
Khong Chiam est au bord de la rivière au nom à coucher dehors citée précédemment. Mais également au bord du Mékong.
Fait intéressant, ces deux cours d’eau s’y rejoignent.
Le fier Mékong, chargé de son prestige, de sa puissance et de boues.
La rivière au nom à coucher dehors, puissante également, mais plus raffinée, charriant quelques nénuphars sur son onde opaline (en fait opaline n’est pas l’exact qualificatif, mais ça sonne bien).
Et ces deux amants que tout oppose pourtant se réunissent ici, sous nos yeux, en mélangeant par leurs eaux, la puissance et la grâce dans une silencieuse et poignante étreinte.
Donnant cet émouvant spectacle du bleu profond et de l’ocre boueux, s’unissant, pour vous, public aimé et (pour sa grande majorité) inconnu.
Et donne ainsi son nom à une spécialité touristique locale : « la rivière aux deux couleurs » Si nous étions pointilleux nous préciserions la rivière et le fleuve aux deux couleurs.
Mais ça ferait moins romantique et n’éveillerait pas aussi bien ce petit côté jeune pétasse romantique qui sommeille en nous tous.
L’avantage second de Khong Djiam est qu’il est entouré – quand ce n’est pas par des cours d’eau – par un parc national très joli, avec des falaises, des arbres centenaires et tout le toutim.
Le dernier avantage est que cette ville possède la guérite à flic de la route la plus kitsch du monde (connu par nous):
Bonus: étant au bord du Mékong il nous fut possible de nous désaltérer au bord de l’eau, en contemplant, sur l’autre rive, le Laos.
Notre objectif de demain.
Pourquoi ne pas rester plus longtemps en Thaïlande, ce ne furent que 5 jours? La réponse est simple : car c’est ainsi que nous l’avons décidé.
Et que pendant ce temps, quelque chose se trame, restez connectés…