A ce stade du récit, il semble judicieux d’apporter quelques éléments fondamentaux à votre culture générale, car il est probable que vous nous imaginiez sur de jolies routes bitumées savoyardes sans grandes surprises.
Or c’est maintenant que l’imaginaire et la réalité se bouffent le nez.
Ici, dans l’Himachal Pradesh les routes sont bonnes.
Dixit les locaux.
Et en effet, notre départ de Theog nous permet de faire vrombir doucettement le piston de notre moto sur une route lisse et louvoyante, dans un cadre de photo publicitaire pour catalogue de voyages.
Mais, malgré les efforts constant des sociétés d’entretien des routes locales, rien n’est plus fort que la montagne (à part mon papa).
Et notre velours routier se transforme peu a peu en succession de nids de poules, puis le bitume laisse la place, vaincu par les éléments, à de la route rocailleuse, qui elle-même s’efface sous les coulées de boues, les torrents impétueux et les éboulements de terrain.
Ainsi les 70 derniers kilomètres devant nous mener à Banjar se transforment-ils en cauchemar routier, sur une route grimpant bigrement.
Une Homestay nous a fait un signe, mais n’écoutant que mon inénarrable hérédité, nous passons outre et continuons.
Ca monte toujours, la route devient un amas irrégulier de roches.
Puis nous traversons un cours d’eau boueuse de 35 cm de profondeur, puis la roche se mélange a la boue, les minibus patinent, et, nous l’apprendrons plus tard, un taxi-jeep partira dans le décor (sans blessés, rassurez-vous)
Il pleut en plus, il fait froid et imaginez, pour terminer le tableau, que lentement mais surement, la nuit tombe.
Et nous atteignons enfin le col, transis de froid, après avoir parcouru les trois derniers kilomètres à fond de première. Un col ou rien n’est ouvert, ou la prochaine possibilité d’hébergement est annoncée à 12 kilomètres.
12 kilomètres !
De descente dans le noir, dans la boue glissante, avec à notre gauche un ravin, et à notre droite une montagne qui déverse langoureusement ses miasmes de roche et de terre molle.
Et peut-être même des tigres affamés et aux aguets… parait qu’ils sont très présents dans le coin.
Oui notre avenir n’est pas folichon. Et nous l’avons bien cherché de toute façon.
Mais comme vous le savez nous ne sommes pas complètement des fiottes et, valeureux bien qu’humides, nous dévalons prudemment le chemin, croisant parfois une auto, bloquée dans son ascension par un trop plein de boue dans lequel ses roues patinent.
12 kilomètres…
Et en fait le destin, cette aimable fripouille nous offre le salut au détour d’un virage. Une échoppe-restaurant-Guest house nous ouvre les bras.
Des bras froids, humides et sentant les maisons de campagne à la fin de l’hiver, mais des bras où dormir.
Notre hôte, un homme d’abord bourru, cache un cœur de maman-poule et nous réchauffe d’un bon thé et d’une copieuse assiette. Le tout bien chaud.
Puis il est 9 heures du soir, et comme il n’y à rien à faire d’autre nous faisons nos poules et allons dormir, histoire de récupérer de nos émotions.
Demain, nous serons à Manali, dussè-je vous couper l’effet de surprise.
En attendant le réveil nous offre un panorama pas dégueu.
Et c’est sous un soleil radieux et chantant que nous nous levons pour parcourir la grosse centaine de kilomètres qui nous sépare de notre destination.
Chemin faisant, nous croisons un petit groupe d’espagnols visant la même destination, c’est gentil tout plein, on se fait des V de la victoire et des pouces en l’air sur la route et une petite séance photo à l’occasion d’un des désormais fameux embouteillages de village indien, puis on les distance.
Et c’est tant mieux car quelques heures plus tard, alors que cette pute de Rajesh nous fait le caprice de ne pas redémarrer, qui vient a notre rescousse ?
Raùl et ses poteaux hispaniques, qui nous poussent pour démarrer, et c’est reparti jusqu’à Manali.
Manali est un gros village scindé en deux parties : Le vieux Manali, culminant à 2200 mètres ou squattent les touristes, motards, babas, routards et autres aventuriers de la montagne.
Et le nouveau Manali, commençant a 1800 mètres ou vivent les indiens d’Inde.
A Manali, il y a une énorme population Israélienne, des Shalom Travel agencie et tout un tas de plats israéliens sur les menus. Cela nous a rendus curieux mais nous n’avons pas encore compris pourquoi (selon les locaux, la venue de tous ces israéliens serait un bon moyen de fêter la fin de leur service militaire dans un environnement festif, économique, avec beaucoup, beaucoup de drogues) .
Manali n’a pas grand intérêt, sinon d’être la dernière étape civilisée avant de s’enfoncer dans la sauvagerie des montagnes et un bel exemple de solidarité familiale.
Nous allons partir d’ici pour une belle aventure sportive dans les montagnes inexplorées.
Néanmoins, une expédition telle que celle qui nous attend est, sans forfanterie, loin d’être a la portée du premier quidam venu, alors nous passons trois nuits dans cette ville pour mettre Rajesh au point, laisser mon ordi a réparer (comme celui de Claire, son écran a défunté), nous équiper un peu mieux (nous manquons de gants, a 5000 mètres, nous supposons qu’ils pourraient nous être vaguement utiles), et faire le plein de cuisine continentales car le riz-lentilles-chappattis c’est bon mais nos palais délicats de français raffinés saturent et je ne vous parle même pas de nos boyaux…
Et voila, c’est parti pour 500 kilomètres de pistes de montagne, d’isolement quasi-total et de sport mécanique de l’extrême.
A suivre, très bientôt.