En nous dirigeant vers Allahabad, haut lieu sacré des… Hindouistes, comme son nom l’indique (oui, oui), nous sommes à la recherche de calme, de verdoyance, de pâturages où des vaches non abandonnées brouteront allègrement l’herbe verte et ne fouilleront pas les déchetteries sauvages à la recherche d’un truc qui se rapproche des végétaux.
Nous recherchons un genre de copie de Bodhgaya, qui nous a tout de même pas mal plu niveau ambiance de village champêtre.
Allahabad (je vous jure que c’est l’une des 7 villes sacrées d’Inde pour les hindous) possède une caractéristique intéressante pour une ville sacrée, elle reçoit la confluence de trois cours d’eau tout aussi sacrés. Le Gange, le Yamuna, et une rivière souterraine, le Saraswati.
C’est ainsi qu’il y a 5 mois, lors d’une Full Mela Party où des dizaines de millions de pèlerins se rencontrent pour effectuer leurs rituels à la confluence des trois cours d’eau, 100 millions d’hindous sont venus traîner leurs guêtres sur les rives d’Allahabad, battant ainsi le record mondial de la plus grosse réunion de gens pour un même but.
Comme si la France, et le Canada venaient laver leur linge à l’endroit où le Maine et le Loir se réunissent. Nous avons essayé d’imaginer un tel événement, mais nous n’y sommes pas parvenus.
Mais revenons d’abord à notre arrivée à Allahabad, car elle vaut le coup. 135 km séparent cette ville de Vârânasî. Nous n’avons pas voulu charger trop la mule, si vous me permettez l’expression, tant du point de vue littéral qu’imagé.
Aurel a déjà la lourde tâche de nous conduire sur une 350cc qui porte nos deux gros sacs à dos de 20 kg chacun, nos petits sacs d’environ 10 kg, et moi qui, bien que pesant à peine plus qu’une plume, amène les totaux à un excédent de poids non négligeable, d’autant plus lorsque la moto fait bien ses 180 kg à elle toute seule.
Ajoutez à cela le trafic indien à l’entrée et à la sortie des villes, et l’inexpérience de mon mari en matière de grosses cylindrées (je parle toujours de motos, bien naturellement).
Ah oui, et vu que les Enfields sont de conception anglaises et que les Rosbifs aiment bien se la jouer compliqué, les commandes au pied sont inversées.
Ca va maman ? Pas trop en panique ? Pas la peine.
Aurel taquine du guidon comme s’il était né avec une Enfield dans la bouche (???).
Il masterise les embouteillages, donne des coups de klaxon toutes les dix secondes, se fraie un chemin dans le nuage de poussière que la circulation soulève, et nous voilà en un rien de temps rendus dans le centre ville d’Allahabad.
Je vais vous épargner les sempiternels détails des tentatives d’orientation lorsque l’on arrive par ses propres moyens dans une ville inconnue, à plus forte raison Indienne.
Sachez juste qu’il y a deux gares ferroviaires centrales à Allahabad, et qu’avant de découvrir cela, il s’est bien passé une heure et demie.
S’en suit la recherche de La chambre d’hôtel.
Il est vrai que depuis notre départ de France, nos standards de confort en matière de chambre ont bien évolués.
Aux Philippines, transis de joie à l’idée de partir à l’aventure et de vivre des expériences uniques, désireux plus que tout de laisser la bohème prendre le pouvoir de nos corps et de nos pensées, et surtout un peu effrayés à l’idée de bouffer tout notre budget d’un an d’un coup, nous avons dormi dans des endroits peu recommandables, parfois très sales, mais néanmoins tenus par des personnes charmantes.
Au fil du temps, le côté cuvette des chiottes noire de crasse et nid de cafard qu’on dérange en s’allongeant sur notre lit a fini par nous lasser un peu. Du coup, étant désignée depuis le début comme la responsable du choix de la chambre, j’ai pris plus d’assurance et plus de bagou pour détecter les vices rédhibitoires.
Et à Allahabad, des vices rédhibitoires dans les hôtels, il n’y a pas besoin de les chercher pour les trouver. Nous avons dû nous arrêter devant 10 ou 15 hôtels. En plus de pratiquer des prix exorbitants pour la qualité des prestations que tous les hôtels proposaient, j’ai pu moi-même battre un record à Allahabad :
Visiter le plus grand nombre de trous à rats dans une même agglomération en une heure.
Fatigués par les klaxons incessants des auto-rickshaw, des camions et des motos, couverts de poussière, dégoulinants de sueur, nous trouvons finalement une grande chambre propre pour un prix correct. Seulement un détail m’échappe lorsque je la visite : Cette chambre donne sur la rue principale de la ville. Grave erreur de débutant.
Peut-être prenez-vous à la légère le fait que nous insistions sur les coups de klaxon indiens. Pour en remettre une couche et vous assurer que nous ne somme pas marseillais, sachez qu’ils boostent volontairement leurs klaxons, et qu’ils vont même souvent jusqu’à en mettre deux sur leur moto, histoire d’être certains qu’ils seront entendus, et qu’ils vous vrilleront les oreilles en passant près de vous.
L’avantage, c’est qu’ils ne traînent pas trop dans les rues la nuit. L’inconvénient, c’est qu’ils se lèvent avant le soleil.
Pour les verts pâturages et les clochettes au cou des vaches comme à Bodhgaya, on repassera, donc.
Nous passerons une journée à Allahabad, tentant d’apprivoiser Rajesh en toutes circonstances, se perdant dans le quartier musulman (parce que quand même !!), déjeunant dans un petit bouiboui à masala dosa, se liant d’amitié avec une institutrice et sa fille, championne du monde de canoë-kayak, puis allant voir cette fameuse confluence qui attire tant les foules. Seulement, comme vous le savez déjà par cœur, la mousson est passée par là et le niveau de l’eau est bien trop haut pour accéder au point de vue, noyé dans les eaux sacrées. Nous nous contenterons donc d’un coca sur un ghât inondé.
Le lendemain, après deux nuits divines, bercés par le doux son des klaxons chantants à partir de 4h30, notre envie de vert et de calme est exacerbée. Nous partons à 120 km de là, vers un petit point sur la carte routière que nous possédons, petit point qui a pour nom Fatehpur, toujours dans l’Uttar Pradesh (ou UP pour les intimes)
Peut-être sommes-nous un peu stupides, ou bien nous ne tirons pas bien les leçons du passé, mais naturellement, un petit point sur une carte indienne signifie automatiquement « Ville de plus de 100.000 habitants ».
Et nous n’y avions pas pensé.
Nous revoilà bloqués dans des embouteillages, couverts de poussière, de sueur, de poussière agglomérée sur le visage par la sueur, bref, d’un cocktail de raffinement et d’élégance qui nous est propre.
Je recommence à visiter des trous à rats hors de prix, constate au passage que ce que certains indiens appellent matelas n’est en fait qu’une couverture en laine pliée en quatre, et finis par trouver une petite chambre plutôt confortable au fond d’une courette, à l’abri des klaxons, car on ne m’y reprendra plus.
Et la soirée commence. Nous allons dîner au restaurant de l’hôtel, le manager vient nous voir, nous fait de timides courbettes, tout est pour le mieux.
Fatehpur a beau contenir la population de Lille, nous sommes loin du brouhaha continu du trafic, et nous allons pouvoir passer une bonne nuit.
Vous voyez l’élément perturbateur arriver, là, ou pas ?
A 20h30, cinq tondeuses à gazon s’invitent devant notre porte, et les gaz d’échappements qui vont avec. Le coupable ? Un groupe électrogène des années 40 qui traînait dans un coin de la cour sans qu’on le remarque. En effet, pour faire face aux coupures d’électricité récurrentes du quartier, les responsables de l’hôtel ont bien dû pallier le problème. Soit, nous subissons gentiment, même si mes nerfs commencent doucement à lâcher. Je découvre que le bruit a sur moi, à la longue, un réel impact.
Impossible de communiquer avec Aurel, qui pourtant, comme vous le savez, s’exprime toujours clairement et distinctement. Impossible de lire, d’écrire, de regarder un film, impossible de vivre une bonne soirée de calme et de détente.
A 21h30, je m’en vais voir l’un des membres du personnel qui m’explique qu’ils font provision d’électricité pour la nuit, et qu’ils arrêteront tout à 22h. Je ronge mon frein, commence à perdre patience, mais j’attends une demi-heure de plus, torturée par le bruit dans toute sa splendeur.
22h10, toujours le groupe électrogène. Il ne faudrait pas commencer à tirer trop sur la corde non plus. Aurel et moi partons dans le restaurant de l’hôtel, dans lequel le manager envoie des textos derrière son comptoir et quelques clients s’alimentent.
Je lui demande calmement d’arrêter cette machine de l’enfer. Il me répond par-dessus la jambe qu’ils l’arrêteront à 22h30.
Alors j’explose.
Un scandale éclate dans le restaurant. J’en rajoute volontairement pour attirer l’attention des clients. Faire payer une chambre à ce prix est inadmissible, j’exige qu’ils coupent immédiatement le groupe électrogène, il nous est impossible de rester dans notre chambre à l’heure actuelle à cause des gaz d’échappements et du bruit assourdissant, nous avons choisi cet hôtel parmi tous ceux que nous avons visités car nous pensions que c’était le meilleur mais c’est archi faux, ils ne valent rien, cette chambre ne vaut rien…
Le manager s’efface progressivement et s’écrase sur sa chaise. L’un de ses collègues tente de me calmer. Après quelques minutes de tergiversations, nous assistons à la mise au repos du groupe électrogène, pour le plus grand bonheur de nos oreilles.

Parfois, il vaut mieux subir les bruits de la circulation en ayant une chambre en façade que vivre avec un groupe électrogène dans la courette derrière.
Ce fait peut vous paraître anecdotique, mais ne vous fiez pas aux apparences. S’énerver en public dans un pays étranger peut parfois mener à de mauvaises surprises, en particulier en pays bouddhiste, comme dans la majorité de l’Asie du Sud Est.
Personne ne s’énerve jamais dans la rue en Thaïlande, c’est extrêmement mal vu. Alors quelle ne fut pas notre surprise, en arrivant en Inde, lorsque nous vîmes des groupes d’hommes se serrer les uns aux autres, se défier du regard, parfois se mettre une claque ou deux, partir, furibonds, au détour d’une ruelle en pointant l’adversaire du doigt, puis se réconcilier dans la demi-heure.
Les Indiens ont le sang chaud, et leur patience a des limites. J’ai donc tenté l’expérience, en ajoutant un peu de dramatique à la situation, sachant très bien qu’ils n’oseraient jamais toucher la blanche dont le mari est en renfort derrière, et cela a très bien marché.
Le lendemain, nous quittons Fatehpur pour Lucknow, capitale de l’UP, un peu fatigués et déçus de ne pas avoir trouvé un endroit assez calme et serein pour recharger nos batteries. Et ce n’est certainement pas à Lucknow, capitale de l’état le plus peuplé d’Inde, que nous allons trouver un refuge salvateur !
L’Inde, ou tout et son contraire.
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