Notre premier parc national depuis que nous sommes partis.
Ce n’est pas faute d’avoir essayé ailleurs. Souvenez-vous, lecteurs assidus, que nous avions fait un gros détour sur notre route Thaïlandaise en direction de Bangkok pour aller visiter un parc qui renfermait tigres, éléphants, rhinos, et, tout contents, nous nous étions présentés à l’office la bouche en cœur, certains que nous pourrions parcourir les routes du parc au guidon de Karadoc.
Naïfs que nous fûmes. Naturellement, pour des raisons de sécurité évidentes, il nous était impossible d’entrer avec pour seule arme efficace pour lutter contre un tigre en furie nous pourchassant, Karadoc, un scooter Honda 125. Il fallait l’abandonner à l’entrée du parc et payer une location de Jeep avec chauffeur. Même pas en rêve d’un point de vue financier.
Et comme cela ne suffisait pas, les droits d’entrée étaient bien trop élevés pour notre maigre budget, 12€ par personne pour être précis, donc nous sommes rentrés brocouilles à notre hôtel, comme on dit dans le Bouchonois.
D’autres tentatives, infructueuses, nous avaient rendus à l’évidence que les parcs avec de vrais animaux sauvages à l’intérieur, ça n’était pas pour notre porte monnaie.
Puis Bardia. Trop beau pour être vrai. Le deuxième plus grand parc national du Népal. Des tigres, des rhinos, des singes, des éléphants, de la biche à s’en taper la panse, des oiseaux très rares, pour la modique somme de 1000 roupies népalaises par personne, ce qui tourne autour des 7€.
Naturellement, Rajesh n’aura pas plus l’autorisation de rentrer que Karadoc, mais une possibilité supplémentaire nous attend : Une promenade à pied avec un guide est possible.
Mes rêves les plus fous deviennent réalité.
Sur la route qui mène à Bardia, un suédois d’une petite cinquantaine d’années, blond décoloré, chevauchant une Enfield, assis sur une peau de bête recouvrant la selle, nous dépasse, nous montre son pouce en l’air, nous parle avec un gros accent à l’américaine, puis nous attend à l’entrée de la route qui mène au parc.
C’est la fin de l’après midi, le soleil se couche, et après avoir parlementé quelques secondes avec les rabatteurs des différents resorts qui tentent de nous vendre leur meilleure chambre, nous filons sur une route caillouteuse, traversons une rivière, passons par des villages où les enfants, extatiques, se jettent presque sur nous en nous hurlant des « Namaste » et des « Bye-bye » hilares.
Grand moment de beauté, où les locaux vaquent à leurs occupations crépusculaires, et n’ont pas encore trop l’habitude de croiser du blanc en convoi; même si le convoi se résume ici à 2 Enfields.
Nous arrivons à la nuit tombée dans le Adventure Resort, où le manager nous reçoit chaleureusement. Je négocie un joli bungalow pour une poignée de roupies, et nous établissons nos quartiers sur la terrasse, entourés des bruits de la jungle népalaise post-mousson.
Laissez-moi à présent vous parler des raisons de cette lutte acharnée entre les différents propriétaires de resort du parc. Car les tarifs des chambres sont souvent ridicules pour la qualité des prestations, et ce n’est pas pour rien.
Une fois le client ferré dans son bungalow, il prendra tous ses repas dans le restaurant, à plus forte raison s’il n’est pas véhiculé, mais surtout, il laissera son resort organiser ses activités animalières, surtout s’il n’est pas véhiculé. Et là, laissez moi vous dire qu’ils ne cassent pas les prix.
C’est ainsi que dès la première heure, l’un des employés vient nous proposer un tour en Jeep pour le lendemain, que nous déclinons poliment. Nous voulons respirer le bon air frais de la jungle quelques jours, nous ne sommes pas pressés pour organiser notre safari.
Le lendemain, entre deux séances de glande intensive, nous leur demandons leurs tarifs pour une journée guidée à pied dans la jungle. 2500 roupies par personne, c’est-à-dire, en comptant les frais d’entrée du parc, notre budget commun pour une journée. Pas question. La négociation est inutile, nous attendons une baisse trop significative pour que le manager puisse décemment accepter. Mais vu que nous sommes véhiculés, nous nous rendons au quartier général du parc, à la recherche d’un guide.
Nous y rencontrons Tulsi, un vieux de la vieille, petit homme sec, tanné par les années, guide indépendant depuis quatre ans, ça paye beaucoup mieux que de travailler pour les resorts, même s’il y a moins de travail. Il nous proposera la journée de marche à 1000 roupies par personne, et nous sommes conquis. Départ demain matin à 7 heures.
Autant vous dire que notre manager de resort déglutit avec difficulté lorsque nous lui annonçons la nouvelle. Mais fair play, il accepte sa défaite.
Le lendemain matin, chaussures de marches aux pieds, pantalons longs sur les fesses et chemises sur les épaules, nous nous rendons, vaillants comme des gardons, retrouver Tulsi qui nous attend, le bâton à la main.
Oui, car lorsque vous vous promenez à pied dans Bardia, votre seule arme contre les éventuels animaux pas contents car dérangés pendant leur sieste est : Un bâton de bambou.
Il paraît qu’ils savent très bien s’en servir.
N’empêche, durant les quelques minutes de marche pour mener au premier sentier, Tulsi nous donne quelques conseils : Si un tigre pointe son nez, ne courez pas. Si un rhino vous charge, montez à l’arbre le plus proche. Si c’est un éléphant, là, courez.
Le décor est planté.
Très vite, nous découvrons nos premiers animaux sauvages.
Après être passés dans les hautes herbes qui ont investies le sentier, je baisse les yeux sur mon pantalon, consciente que nous sommes en Asie, dans la jungle, après la saison des pluies, et ayant déjà vécu cela, je sais à quoi m’attendre lorsqu’il s’agit de se faire sucer le sang par des vers bruns gluants.
Oui, elle est là, la salope. Une sangsue remonte le long de mon pantalon, à la recherche d’un endroit où elle pourra se taper une pinte de sang. Tulsi sort immédiatement de son sac à dos un sachet de sel, s’en tartine les doigts, et l’attrape à mains nues pour la jeter par terre et l’écraser sous la semelle de sa chaussure. Et il n’y en a pas qu’une : J’en ai 3 sur moi, Aurel également, et Tulsi en a une qui est en train de se frayer un chemin vers sa peau.
C’est donc absolument répugnant, et une séance vérificative s’impose toutes les 30 secondes, car elles sont rapides, les bougresses ! Et elles vous sautent dessus ! Elles se pointent en haut d’une tige d’herbe haute, et au moment où vous passez, elles sautent sur vos jambes, vos épaules, votre dos.
Il est déjà 9h30, il fait très beau et la température augmente. Nous arrivons à une tour d’observation plantée dans les herbes. Une petite pause à l’ombre au bord d’une rivière et nous repartons.
C’est en posant le sac que j’avais sur le dos qu’Aurel manque de tourner de l’œil : Ma chemise est maculée de sang. J’ai été mordue, utilisée, puis abandonnée.
Et je n’ai rien senti. Ce n’est donc, en soi, pas très grave. Car j’ai pu lire sur Wikipedia que les sangsues ne sont pas des vectrices de maladies, on ne risque rien à avoir servi de pitance à l’un de ces invertébrés.
Et vu que j’ai été abusée sans même le noter, j’ai tendance à ne pas accorder trop d’importance à cet évènement.
Partons dans le lit d’une rivière qui s’assèche pour traquer l’animal qui a soif.
Nous tombons sur des empruntes de tigre qui traversent le cour d’eau sans faire demi-tour. C’est excitant comme tout, merveilleusement beau, incroyablement tranquille.
Quand tout à coup…
Tulsi nous demande de ne plus bouger et de ne plus faire de bruit.
Un peu plus loin, dans la rivière, deux rhinos barbotent dans l’eau.
Une mère et son enfant, aveugles comme des taupes mais l’ouïe et l’odorat plus aiguisés qu’un couteau japonais profitent de ce que la vie leur a offert.
Et de les voir ainsi, sereins, bien au frais dans leur marre aux rhinos, cela fait du bien aux yeux et à l’esprit. Il reste encore des animaux insouciants sur cette planète.
Après 50 photos, nous repartons sur nos pas. Et croisons des empreintes d’éléphants toutes fraîches.
Cependant, nous ne serons pas aussi chanceux par la suite. Pas de pachyderme, pas de félin. Rien que leurs empreintes pour témoigner de leur existence.
Tulsi semble presque avoir peur de n’avoir que ça à nous montrer. Il nous dit que nous allons faire un tour là-bas, mais peut-être qu’on ne verra rien, parfois c’est comme ça, surtout en cette saison où les herbes sont hautes, et dans lesquelles les animaux peuvent se cacher plus aisément dedans.
Mon mari et moi remarquons avec sagesse que si nous avions voulu à tout prix voir un tigre ou un éléphant, on aurait mieux fait d’aller au zoo. Ce n’est pas plus mal ainsi. Cela veut dire que les animaux ont encore le contrôle de leur territoire.
Nous nous rappelons le parc d’Etosha, en Namibie, où les animaux, blasés d’être pris en photo, passaient très près des véhicules tant ils étaient habitués. Ici, ils ont encore peur des humains, et c’est tout naturel.
Et pas plus mal pour nous, peut-être n’aurons-nous pas à nous suspendre par les bras à une branche en hauteur pour éviter de se faire piétiner.
Il est 11h30 quand nous nous installons pour casser la croûte. Puis temps calme à l’ombre des arbres.
Le reste de l’après midi se passera entre notre coin pique-nique et un autre endroit qui borde la rivière. Nous croiserons sur notre route de grands singes à la face noire, intrigués par notre présence, et des singes plus communs, très curieux de mieux nous connaître.
Mais le tigre ne se montrera pas, pas plus que l’éléphant.
La sangsue, en revanche, fera son grand retour, cette fois-ci sur mon tibia.
Et un caméléon occupera notre temps d’attente à guetter le tigre qui faisait sa sieste.
Il est 16h et il y a encore deux heures de marche pour rentrer à la base. Le soleil décline, les herbes se dandinent au rythme du vent, les sangsues nous harcèlent, mais nous sommes contents de cette journée.
Contents aussi que ça soit fini, nous en avons plein les pattes.
Avant de se quitter, Tulsi nous montre les éléphants domestiques utilisés pour les balades dans le parc, et le rhinocéros coincé dans son enclos car il a été blessé lorsqu’il était tout jeune et qu’il a tué un homme lorsque l’on a essayé de le relâcher.
Ca a été une très belle journée, mais à présent tout ce que notre corps nous réclame c’est une douche, une bière, et un repas chaud avec de la viande !
Et vous verrez que malgré le contexte religieux, ça ne sera pas facile.
Pourquoi le contexte religieux nous demanderez-vous parce que vous êtes curieux d’apprendre et que c’est pour cela qu’on vous aime bien.
Nous avons omis de le dire plus tôt car cela aurait ruiné l’effet de surprise.
Depuis notre arrivée et pour une quinzaine de jours, les Népalais (qui sont assez beaux en vérité comme leur nom ne l’indique pas) fêtent Dashain.
C’est à dire l’équivalent de Noël et nouvel an par chez nous, mais pour des raisons toutes différentes.
Les quinze derniers jours de la lune claire jusqu’à la pleine lune du mois de Kartik (nous y reviendrons un jour), tout le pays est en liesse, quelle que soit la religion ou la caste.
Car il y a quelques années, une des déesses Hindoues du joli nom de Durga aurait été l’élément clé ayant permis aux bons Dieux de défoncer la tête des armées de Démons. Et notamment ce saligaud de Mahisasur, un gros méchant venu terroriser la terre sous la forme d’un énorme buffle sanguinaire, que Durga à pourfendu après 10 jours de baston féroce.
Et comme les Népalais ne sont pas des chiens, ils célèbrent cette victoire du bien sur le mal en honorant leur déesse Durga de la meilleure façon qui soit : en organisant 15 jours d’orgie, d’amitié, de générosité et de massacres d’animaux (il faut bien nourrir tout le monde, Dieux et humains).
Quinze jours donc où des centaines de milliers d’animaux sont sacrifiés dans des temples, où les familles se réunissent, et où les commerces se décontractent.
Et c’est ainsi qu’à notre retour de la jungle, nous rêvons d’un plat chaud et de viande.
Hélas, le cuistot s’est barré rejoindre sa famille.
Claire suppute une vengeance du tenancier de notre hôtel parce qu’on n’a pas pris le guide par ses soins.
Bref, il nous faudra une bonne heure pour trouver un restau ouvert.
Ce n’est pas le comble ça ? Tout le monde se pète la panse et nous, on lutte pour trouver un bol de riz.
Au final nous trouverons, grâce à un Népalais et sa femme française qui tiennent un petit Resort à Bardia.
Ce sera aussi l’occasion de découvrir la Chang. Ou le Chang. Rien à voir avec la bière Thaïlandaise, ni avec l’ami tibétain de Tintin, c’est un alcool de riz léger, un peu acre au nez mais qui réchauffe le cœur et le corps.
La fin de soirée se passera à discuter culture népalaise en français, puis à regagner notre jardin luxuriant.
Le lendemain, nous réalisons une chose fondamentale : Nous ne sommes pas sportifs.
Marcher durant ces longues heures ont mis à l’épreuve des muscles jusque là insoupçonnés et il nous est impossible de nous lever de notre fauteuil de terrasse sans pousser des gémissements de vieux grabataire.
Nous passerons donc la journée à faire le moins d’effort possible.
Mais c’est Dashain et les habitants du village ne veulent pas en rester là. Ils investissent notre jardin pour nous faire une démonstration de chants et de danses dont ils ont le secret, comme vous pouvez le voir juste en dessous.
Nous repartirons le lendemain pour terminer notre pèlerinage bouddhiste.
Car après 4 mois en Thaïlande, au Cambodge et au Laos, plus Bodhgaya en Inde, ville de la naissance de Bouddha, nous attend sur notre liste la ville où tout a commencé : Lumbini, lieu de naissance de l’homme qui deviendra le 4e dieu le plus adoré au monde.
Et ça sera baroque, croyez-nous.
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